Affiche de 1917.

? Réalisateur : Sam Mendes

? Casting : Dean-Charles Chapman (Game of Thrones), George MacKay, Richard Madden (Rocketman, Game of Thrones), Mark Strong, Colin Firth (Genius, Le Retour de Mary Poppins), Benedict Cumberbatch (Avengers : Infinity War & Endgame)…

? Genre : film de guerre

? Sortie : 15 janvier 2020 (France)

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Synopsis : Pris dans la tourmente de la Première Guerre Mondiale, Schofield et Blake, deux jeunes soldats britanniques, se voient assigner une mission à proprement parler impossible. Porteurs d’un message qui pourrait empêcher une attaque dévastatrice et la mort de centaines de soldats, dont le frère de Blake, ils se lancent dans une véritable course contre la montre, derrière les lignes ennemies.

Comment filmer la guerre au cinéma ? Comment rendre compte, le plus fidèlement possible (si l’on puisse user de cet adverbe), de l’horreur et des ravages de la plus violente expression de la barbarie humaine ? Comment faire de l’artificiel du réel ? A cette question, il existe quasiment autant de réponses que de cinéastes, le film de guerre étant un genre ayant parsemé une majeure partie de l’histoire du Septième Art. L’Armée des Ombres, La Grande Illusion, Week-end à Zudycoote, Apocalypse Now, La Ligne Rouge, Il faut sauver le Soldat Ryan, et plus récemment, Dunkerque… La guerre a inspiré quasiment tous les réalisateurs, jusqu’à Sam Mendes qui propose donc, après une escapade bondienne, sa version de la Première Guerre Mondiale. Un film précédé de l’aura de sa technique, puisque vendu comme un plan-séquence de deux heures. La démarche est claire : faire vivre la guerre intensément, presque en temps réel. Mais au-delà des prétentions, le résultat escompté en est-il à la hauteur ?

1917.

Sur un plan purement technique, force est de reconnaître que 1917 est une réussite implacable. S’il n’est pas un réel plan-séquence comme le Victoria de Sebastian Schipper (2015), celui-ci reste impeccablement maîtrisé, les coupes de montage se faisant très discrètes, sauf exigées par le scénario. Secondé pour la quatrième fois de sa carrière par Roger Deakins à la photographie, Mendes propose un film visuellement impactant et léché, où chaque détail, notamment la lumière, superbement travaillée, contribue à l’implication du spectateur. L’utilisation du plan-séquence, montrant donc la guerre en continu, permet de le garder alerte, donnant un relent oppressif au film qui enferme le spectateur dans un maelström visuel et auditif.
Auditif donc, car outre ce travail visuel qui parle de lui-même, le montage et le mixage son participent également à donner au film sa consistance. 1917 est criblé d’éléments sonores achevant de lui donner une crédibilité certaine. Plusieurs fois, le spectateur va être ainsi assailli par ces sons tonitruants, rappelant ainsi l’horreur de la guerre et l’impact de celle-ci sur les corps. Un crash d’avion, un obus, un coup de feu, une explosion, sont autant d’éléments qui, couplés au travail visuel, achèvent de donner au film sa véracité. Enfin, la musique de Thomas Newman, oscillant entre orchestrations impactantes et sonorités plus lancinantes, sert à merveille un film reposant avant tout sur son défi technique et l’implication de ses acteurs.

Photo by Francois Duhamel / Universal Pic - © 2019 Universal Pictures and Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

Des acteurs dont la réussite interprétative, même si elle est en partie dictée par l’environnement où ils évoluent, joue un rôle déterminant dans le succès du film. En premier lieu les deux protagonistes principaux, Blake, incarné par Dean-Charles Chapman (déjà aperçu dans la série Game of Thrones) et Schofield, joué par George MacKay, qui ont la lourde charge de tenir l’ensemble du film sur leurs épaules, ont l’intensité de jeu nécessaire pour être convaincants tout du long. Autour d’eux se dessinent durant le long-métrage une troupe d’acteurs reconnus (Mark Strong, Benedict Cumberbach, Richard Madden, Colin Firth…) qui, s’ils n’ont pas pour eux une présence à l’écran étendue, ont l’avantage d’être tout de suite reconnaissables comme les figures d’autorité face à ces deux jeunes gamins lancés dans une mission kamikaze, et un point d’accroche à un spectateur déjà bien secoué.
La narration de 1917 va également en faire sa force, puisque le film, suite au pivot dramatique central, va prendre un chemin inattendu même si, on y reviendra, elle lui causera également quelques faiblesses.
Au milieu de la violence de cette guerre, le film n’oublie pas de se parer également d’une dimension lyrique, voire poétique, où les personnages, allant de péripéties en péripéties, croiseront sur leur chemin des personnages aux enseignements nombreux, et vivront des événements qui changeront leur manière d’appréhender ce périple. Le film, ne se limitant à la simple image graphique de la guerre, gagne en force émotionnelle par ce ton doux-amer, où la bataille, dévastatrice à échelle humaine, n’est qu’une infime parcelle d’un conflit orchestré par un état-major désœuvré, et dont les soldats ne sont que les pantins. Des dirigeants dont la vision d’ensemble n’a d’égale que la déconsidération à l’égard des difficultés et atrocités quotidiennes.
Mais…

Photo by Francois Duhamel / Universal Pic - © 2019 Universal Pictures and Storyteller Distribution Co. LLC. All Rights Reserved.

Il est difficile d’appréhender 1917 sans user de formules toutes faites. Sa technique parle d’elle-même, et le film est techniquement irréprochable. Mais cela peut-il suffire à en faire un grand film de guerre ? Non. D’une part, parce que les relations entre les personnages sont assez sommairement établies, et que le film, forcé à être tout le temps dans l’action, a trop peu de moments d’émotion, la technique prenant alors le pas sur l’organique.
Mais d’autre part, et cela sera un avis purement personnel : ce (faux) plan-séquence est-il réussi ? Oui. Utile ? Oui, par le jeu subtil sur le passage du temps. Artificiel ? Oui. Et cela coûtera au film son statut de chef-d’oeuvre.
Penser qu’un plan-séquence est ce qu’il y a de plus réaliste au cinéma peut être remis en cause (voir l’ouvrage de Walter Murch En un clin d’oeil). L’œil humain n’est en rien une continuité infinie, et on peut émettre l’idée que le montage cinématographique se rapproche, par certains aspects, de la multiplicité de la vision humaine.
Il n’y a rien de plus chorégraphié et artificiel qu’un plan-séquence. Et sa qualité de contribuer à faire vivre quasiment l’horreur en temps réel a aussi le défaut de parfois sembler trop se gargariser de sa propre audace. Le film, par de brefs instants, semble être une auto-célébration de sa réalisation, plutôt que celle-ci soit mise à son service. Et au final, on ne ressent pas « tellement » l’horreur de la guerre, pas aussi drastiquement que n’a pu le faire un Soldat Ryan par exemple. Le travail de Roger Deakins en est le parfait exemple : léchée, superbement travaillée, l’image, impactante sur le moment, semble trop lisse, trop perfectionnée pour être à l’image de la guerre qu’elle présente, une guerre sale et peu attirante (seule la séquence de la grotte réussit cet effet-là). Vulgairement, le film est trop « beau » pour réellement convaincre.

Et si il faut par dessus-tout reconnaître le talent extraordinaire de réalisation de Sam Mendes, qui tient en haleine tout du long grâce à ce plan-séquence, un constat, certes subjectif, s’impose : 1917 impressionne dans l’instant, mais manquera sans doute d’un réel impact pour marquer définitivement la rétine du spectateur. Un film dont, paradoxalement, le principe même contribue à sa réussite et à son échec.

Note

7,5/10

Note : 7.5 sur 10.

S’il faut connaître à Sam Mendes un talent indéniable de réalisation (et confirmer, pour les derniers hérétiques, celui de Roger Deakins), 1917, de par son principe même, est une splendide réussite autant qu’un aveu d’échec. Un film difficile à appréhender, dont on ne peut nier les qualités mais que l’Histoire, parmi toutes les grandes œuvres de guerre, ne placera sans doute pas au Panthéon.

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