Elmer Gantry, le charlatan
? Réalisateur : Richard Brooks (La chatte sur un toit brûlant, Les Professionnels)
? Casting : Burt Lancaster (Vera Cruz, Le Guépard), Jean Simmons (Hamlet, Spartacus), Dean Jagger (Un homme de fer, Un homme est passé)
? Genre : drame
? Sortie DVD/BR : 4 décembre 2019
Synopsis : Bel homme, opportuniste, immoral, le représentant de commerce Elmer Gantry est tout cela, et bien plus encore. Ainsi, lorsqu’il tombe par hasard sur la réunion d’un groupe de « Renouveau évangélique » et découvre qu’il peut se faire de l’argent aussi facilement que dans un saloon, Gantry se convertit à l’évangélisme. Rejoignant les rangs de Soeur Sharon Falconer, il livre des sermons éloquents contre le démon, qui lui valent gloire et fortune. Mais lorsqu’une ancienne maîtresse refait surface, Gantry doit affronter des démons d’un tout autre genre : des secrets inavouables, depuis longtemps enterrés, qui font de sa vie de « saint » un véritable enfer sur Terre…
Fidèle à sa formation de reporter, Richard Brooks a pris l’habitude de s’attaquer à de grands thèmes sociétaux dans ses différentes réalisations : la liberté de la presse dans Deadline U.S.A, la délinquance juvénile dans Blackboard Jungle, la peine de mort avec In Cold Blood, etc. Avec Elmer Gantry, c’est un thème typiquement américain qui est abordé cette fois-ci puisqu’il s’agit de l’influence des évangélistes sur la société.
Œuvre dense, Elmer Gantry s’attaque de front à la question de la religion et plus particulièrement aux méthodes mercantiles de celle-ci. Tourné dans une Amérique de début du 20ème siècle, tiraillée entre traditions du passé et modernité, le film met en scène un vendeur décomplexé et baratineur qui se met au service d’une troupe de prêcheurs ambulants. Personnalité complexe, Gantry est à la fois croyant (il a été renvoyé de l’école des prêtres), pêcheur, et amoureux de la prêcheuse Sharon. De cette histoire particulière, Brooks en vient à réaliser une critique plus générale de l’Amérique, où la religion domine non sans hypocrisie la société.
Toutefois, Brooks a le bon goût d’éviter la caricature grossière qui consisterait à ne voir en ces personnes que des illuminés ou des charlatans comme le suggère maladroitement le titre français. Ces évangélistes, à l’image de sœur Falconer, sont avant tout animés par le désir de communiquer leur foi. Mais comme le dit l’adage : « le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions » ! C’est par nécessité que les comportements déviants vont ainsi faire leur apparition : cirque ambulant, publicités racoleuses, etc. C’est un cercle vicieux qui s’installe progressivement et tend à abolir la frontière entre représentation religieuse et show purement commercial.
La finesse de Brooks est de porter, à travers ce simple « fait divers », une vraie réflexion sur la société américaine de l’époque. Il y a tout d’abord le rapport à la religion. On comprend rapidement l’influence de celle-ci sur les consciences des braves gens, allant jusqu’à influencer les décisions politiques. Les municipalités se battent ainsi pour faire partie des « villes étapes » de ce cirque itinérant, l’occasion pour elles d’améliorer leur image et de réaliser de juteux contrats. Mais c’est également une société soumise au culte des apparences et à la pression populaire qui est montrée du doigt. C’est une société versatile qui est décrite ici, capable de brûler aujourd’hui ce qui était autrefois adoré. Le constat dressé par Brooks est pour le moins éloquent, l’Amérique est vue comme un pays perdant la raison pour se laisser guider par ses passions, allant jusqu’à brader ses convictions les plus profondes.
Si le propos est pertinent, il manque à ce film un « petit quelque chose » pour le rendre irrésistible. Il y a, c’est vrai, ce sujet qui nous parle peu à nous autres européens, et puis des références quelque peu datées. Il y a aussi une réalisation un peu trop classique qui n’évite pas les longueurs. Le film aurait sans doute gagné à être raccourci. Mais, le principal atout du film, Brooks le trouve au niveau de son casting. Jean Simmons est diablement élégante en prêcheuse convaincue. Et surtout on a Burt Lancaster, magnifiquement charismatique et un brin cabot, qui trouve en Elmer Gantry un personnage à sa mesure. Incroyable opportuniste, prédicateur fougueux, il est conscient de son pouvoir sur la foule et sait lui vendre aussi bien des aspirateurs que la parole divine ! Elmer Gantry est l’un des personnages les plus forts de l’histoire du cinéma, sa personnalité contrastée et sa dimension mi-ange mi-démon le rendent tout à fait fascinant.
Note
8/10
Le roman de Sinclair Lewis était une attaque féroce contre une certaine forme de religion: le scénario que Richard Brooks en a tiré s’avère aussi complexe qu’ambigu. L’expression cinématographique en est intelligente et utilise à bon escient une figuration pittoresque et une bande sonore impressionnante. Burt Lancaster crée avec vigueur un personnage en tout point fascinant. Un film à retrouver en version restaurée, dès le 04 décembre, chez Wild Side.
Bande-annonce
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