Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque vendredi chez eux, et chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !
? Réalisateur : Todd Phillips
? Casting : Joaquin Phoenix, Robert de Niro, Zazie Beetz…
? Genre : thriller psychologique
? Sortie : 9 octobre 2019 (France)
Synopsis : Le film, qui relate une histoire originale inédite sur grand écran, se focalise sur la figure emblématique de l’ennemi juré de Batman. Il brosse le portrait d’Arthur Fleck, un homme sans concession méprisé par la société.
le pour
THomas G.
Joker et moralisation artistique
Au-delà de l’appréciation cinématographique, Joker est devenu l’objet de débats houleux sur la nature de sa morale. Rien de surprenant pour un film qui tente de susciter l’empathie, et la réflexion, sur un antihéros. De ces palabres, l’on peut formuler quelques interrogations sur le rapport entre Art et Morale. L’Art doit-il être jugé à l’aune de codes moraux ? Un personnage amoral rendrait-il son film immoral ? Rien n’est moins certain.
Premièrement, ce débat révèle la confusion faite entre admiration et fascination.
Si Joker ne peut prétendre à une telle vindicte sur sa morale, c’est parce que l’empathie envers son personnage s’accompagne d’une distanciation formelle. Todd Phillips filme Arthur Fleck sans amour, sans pitié. Et s’il en fait un symbole, le glorifie, c’est dans la diégèse du film, qui se veut la dénonciation d’une société malade dont il est la pire conséquence ; mais en aucun cas, le cinéaste ne se veut complice,admiratif de ses actes. En revanche, il est en effet fasciné par le pouvoir figuratif qu’il peut donner au personnage, et la manière dont il lui permet de brasser ses influences, des scorsesiens Taxi Driver et La Valse des Pantins au Network de Sidney Lumet, dans un film qui se détache quasi intégralement de son étiquette comics.
Mais nonobstant tout jugement moral, Joker interroge le rapport du public à l’Art cinématographique, et sa propension à vouloir y appliquer des jugements moraux dont l’Art ne devrait avoir cure.
Bien que la morale ait droit de cité dans l’art, ne serait-ce que par les différentes commissions de classification des œuvres, le propre des Arts est de se détacher de toute morale. Se voulant en effet comme l’expression d’une vision du monde, ils en expriment toutes les aspérités, même les plus sombres. Voir Art et Morale comme antinomiques reviendrait à les mettre sur un pied d’égalité, et considérer que tous deux possèdent une part similaire dans notre appréhension du monde, ce qui constituerait une erreur fondamentale.
Joker n’échappe pas à la règle. Il est dommage de reprocher à un film son ambiguïté morale, son empathie qui incite à la réflexion, sous couvert d’une quelconque immoralité. Son traitement n’en demeure pas parfait, loin s’en faut. Mais de ce débat, c’est l’acteur principal, Joaquin Phoenix, qui en parle le mieux : « J’estime que ce n’est pas la responsabilité d’un réalisateur d’enseigner au public la morale ou la différence entre le bien et le mal. »
Le contre
Antoine C.
La folie des conséquences
Il y a quelques semaines, Joker sortait en salles et subjuguait le public. Le film nihiliste de Todd Phillips, véritable pépite cinématographique, questionne néanmoins sur le “plaisir jouissif” que nous prenons devant les crimes d’Arthur Fleck. La morale doit-elle nécessairement être présente dans les salles ?
Bien sûr, rien n’est manichéen dans le cinéma, et Joker en est le parfait exemple. De part la multitude d’émotions ressenties devant le personnage, bonnes ou mauvaises, Joker en appelle à nos sensations les plus profondes, les plus bestiales ; certains crimes à une macabre logique psychologique de vengeance, d’autres à la gratuité la plus bestiale. Une oeuvre sombre à la morale implacable, crime de lèse-majesté à la bien-pensance hollywoodienne, qui finalement met en relief un souci du cinéma actuel : sa volonté de ne montrer que le côté pile, propre, de notre monde.
Pourtant, un souci existe pour cet exercice de Phillips : la réception par le public. Le cinéma est un art réceptif, un moment d’interaction entre une oeuvre et un spectateur. Doit-on s’offusquer, s’émerveiller de ce que l’on voit à l’écran ? Il y a autant de réponses qu’il n’y a de spectateurs. A chacun le soin de s’imprégner de ce qu’il voit pour en tirer profit ; mais dans son monde où les hommes semblent perdus, le pari du Joker n’est-il pas perdu d’avance ?
Le risque qu’une oeuvre comme Joker impacte au premier degré est réel, tant par le public que le film touche que par les aprioris spirituels qui conduisent les spectateurs dans les salles. Car plus glaçant que les atrocités du personnage, les rires de la salle à ces instants nous rappelle une chose : une dénonciation abrupte, une proposition radicale de cinéma n’a de sens qu’entre les mains de personnes averties.
On ne peut vendre un film tel que Joker comme un simple produit de divertissement : il en est de notre devoir que de prendre conscience du double tranchant corrosif de ce que nous avons devant nous. La psychologie d’un film n’est pas nécessairement celle de notre monde, et il nous faut prendre du recul par rapport à celle-ci. Mais contrairement aux anciennes adaptations, Joaquin Phoenix campe ici un humain brisé par la vie, idole en lequel nous pouvons plus facilement nous reconnaître, un être plus facilement compréhensible et plus à même de nous embarquer dans son sillage ; espérons désormais que la folie d’Arthur Fleck ne dépassera pas le modeste cadre du cinéma…
1 Comment
princecranoir
Les deux visions se tiennent. J’aurais tendance aujourd’hui à prudemment faire le choix du contre et laisser le temps glisser l’appréciation vers le pour. Comme on ne peut plus dire aujourd’hui que le Cuirassé Potemkine est un appel au soulèvement et à la révolution, j’imagine que Joker dans quelques années se regardera comme l’expression du malaise de son époque et pas comme une incitation à la violence.