? Réalisateur : Xavier Dolan (Mommy, Les Amours Imaginaires, Matthias et Maxime…)

? Casting : Kit Harrington, Natalie Portman, Jacob Tremblay, Cathy Bates...

? Genre : drame

? Pays : Canada

? Sortie : 13 mars 2019 (France),

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Synopsis : Dix ans après la mort d’une vedette de la télévision américaine, un jeune acteur se remémore la correspondance jadis entretenue avec cet homme, de même que l’impact que ces lettres ont eu sur leurs vies respectives.

Âgé aujourd’hui de 30 ans et avec une belle carrière derrière lui, c’est pourtant un total saut vers l’inconnu qu’a réalisé Xavier Dolan avec Ma vie avec John F. Donovan. Premier de ses films tourné en langue anglaise, l’ambition était assurément de se tourner vers un public plus international ; précédé d’une post-production assez chaotique (date de sortie repoussée, coupe de Jessica Chastain au montage…), Ma vie avec John F. Donovan a finalement réussi à se frayer un chemin dans nos salles obscures. Xavier Dolan allait-il réussir à conserver sa patte artistique malgré le passage outre-Atlantique ? C’est en tout cas plus facile à dire qu’à faire.

Xavier Dolan et Kit Harrington sur le tournage
© Shayne Laverdiere

Il est certain que s’il y a un domaine du cinéma de Xavier Dolan qui n’a pas pâti du passage outre-Atlantique, c’est bien celui de ses thématiques. On le sait véritable auteur, et on retrouve ses thèmes récurrents dans ce film, traités avec une acuité toujours aussi mordante.
En tout premier lieu, le rapport évident à la mère qui, de J’ai tué ma mère à Juste la fin du monde, parsème sa filmographie. Un rapport tout autant délicat que douloureux et qui trouve son expression dans Ma vie avec John F. Donovan dans les personnages de Grace, mère de la star montante John F. Donovan et de Sam, mère de son jeune fan Rupert Turner. Les deux garçons vont se répondre pendant tout le film, et évidemment dans la relation d’amour-haine qu’ils entretiennent avec leur mère. Susan Sarandon, en mère aimante mais alcoolique et parfois abusive moralement, se moquant du tort et de l’impact émotionnel qu’elle peut causer à son fils, est excellente et digne des mères dolaniennes. On ne peut néanmoins pas en dire autant pour Natalie Portman qui, si son personnage de mère aussi aimante qu’oppressante n’a pas à rougir en terme d’écriture, manque de ces fêlures et de la force propres aux mères chez Dolan.
De la douleur d’être entendu et compris par leur mère, Dolan tire un énième lien entre Rupert et John, dont le film est autant le récit de l’impact de l’un sur l’autre que l’expression d’un thème cher à Dolan : la différence.

Car le film se veut aussi la critique d’un système paranoïaque, hypocrite, vide de sens, incapable d’accepter la différence et ce qui sort du moule, allant jusqu’à faire nier à l’individu l’intérêt de sa propre existence (le personnage de John ne se résout qu’à un acte, « dormir, et tout recommencer ») et prêt à faire chuter ceux qu’elle avait placé au firmament auparavant, ce sans aucune vergogne. Un système médiatique charognard (que le personnage de Jessica Chastain, directrice de tabloïd, coupée au montage, devait sans nul doute mieux exprimer), prêt à tous les ragots au point de détruire l’humain, n’y laissant plus que la surface d’une célébrité détruite au plus profond d’elle-même. Et comme souvent chez Dolan, cette différence est d’ordre sexuelle, le personnage de John F. Donovan se retrouvant plongé dans la tourmente dès lors que des rumeurs sur son homosexualité sont révélées dans la presse. Des rumeurs qui lui causeront bien du tort, exprimant pour Dolan l’hypocrisie et l’homophobie latente d’un milieu se drapant des glorieux atouts du progressisme mais qui, en son for intérieur, est bien incapable d’accepter cette différence.

John F. Donovan (Kit Harrington)
© Shayne Laverdiere

Xavier Dolan a un rapport très passionnel au cinéma : acteur dès son plus jeune âge, il avait, à l’instar du personnage de Rupert, écrit une lettre à Leonardo DiCaprio, lettre restée sans réponse mais qu’il s’est amusé pendant la promotion du film à relire, avec une palpable mélancolie.
Et c’est bien là le sujet principal du film, dont il va puiser toute sa grandeur : il ne s’agit évidemment pas du premier film à décrire la célébrité et ses affres, mais il a l’intelligence de montrer l’autre versant de cette célébrité. Un versant bien plus intime et parfois bien plus dur à vivre, celui de la personne qui idolâtre. Rupert, que Jacob Tremblay incarne avec un talent saisissant, adule John, acteur de série B, entretenant avec lui une correspondance qui est pour le jeune garçon le seul échappatoire à une vie de souffrances, entre une mère dont il se sait de plus en plus distant et un univers scolaire aussi épanouissant que source desdites souffrances pour lui, le souffre-douleur de ses camarades, rejeté comme John pour sa différence et l’envie d’assumer qui il est.
S’enfermer dans l’adoration d’une célébrité pour mieux échapper à la dure réalité : on saurait voir un peu de Dolan là-dedans, mais on y voit surtout un propos à tendance universelle. Quel enfant n’a jamais idolâtré une célébrité, un personnage ? Qui n’a jamais ressenti au fond de lui-même cette passion pour une personne, comme un lien indéfectible qui nous réunirait ? Avec Rupert, Dolan parle autant de lui-même qu’il parle de nous, spectateurs et humains.
Mais comme il le montre, la célébrité est tout autant source de bonheurs que de malheurs, et Rupert sera aussi pour John, malgré le déni forcé qu’il en fera, un soutien sans faille et l’occasion de se livrer quasiment à cœur ouvert. Rythmé par la narration de son récit par le Rupert adulte, devenu acteur à l’instar de son idole, le film est avant tout le miroir de deux personnages que le destin a placé sur le même route, au carrefour d’une vie dont ils ont fait un bout de chemin ensemble, malgré ce destin tragique d’une célébrité écrasée par cet odieux système.

Xavier Dolan et Jacob Tremblay sur le tournage
© Shayne Laverdiere

Thématiquement, le film de Xavier Dolan est d’une richesse prodigieuse, et d’une mordante acuité sur chacun de ses sujets. Mais le traitement, la forme qu’on lui donne, est tout aussi important dans l’élaboration d’une thématique que ce qu’on y injecte. Et nous allons voir qu’ici, le passage outre-Atlantique n’a pas fait que du bien.
Au contraire de Juste la fin du monde, qui maniait avec habilité l’art du gros plan mais qui au final n’en faisait qu’un carcan pour le film, Ma vie avec John F. Donovan brille par une réalisation léchée et une colorimétrie splendide. Il va œuvrer dans son travail sur le cadre aussi bien à isoler ses personnages dans le champ, jouant habilement avec le flou, qu’à se laisser aller à ses envolées lyriques habituelles, parfois mal maitrisées (Rolling in the Deep d’Adele en tête) mais qui sont à plusieures reprises d’une émotion inégalée et une suspension soudaine du temps dans un pur espace de poésie (on pensera au passage de retrouvailles bercé par le Stand By Me de Florence and The Machines). Le gros plan chez Dolan travaillant toujours à capturer l’invisible, l’indicible, le caché, dans un pur moment de grâce, voit encore ici ses acteurs se mettre au service de son histoire et se donner à corps perdu pour lui. Kit Harrington en tête, lui dont le talent n’était franchement pas évident dans la série Game of Thrones, se révèle complètement ici, dans un personnage aux multiples fêlures et qui semble vivre par procuration, et se livre comme rarement il a su aussi bien se livrer. Dans cette même dynamique, Jacob Tremblay, aussi enfantin qu’il n’est clairvoyant sur ses problèmes existentiels sans pour autant en devenir un petit singe savant agaçant, confirme le jeune prodige qu’il est depuis Room.
Le travail sur le cadre de Dolan est donc toujours intact, secondé par la sublime photographie d’André Turpin (notamment les scènes d’intérieur, splendides dans le travail sur les couleurs) et même plus intéressant que son dernier film qui ne parvenait pas à s’extirper de sa théâtralité. Ici, Dolan parvient aussi bien à travailler l’émotion cachée que l’explosion de sentiments, l’intime autant que le grandiose.

Sam Turner (Natalie Portman)
© Shayne Laverdiere

Mais l’on serait malhonnêtes si on affirmait que Ma vie avec John F. Donovan n’était pas perclu de défauts, certes mineurs, mais qui viennent entacher un tableau jusque-là quasi sans faute.
Passage outre-Atlantique et adaptation au public nord-américain et international oblige, le film est dans ses dialogues et sa narration beaucoup moins subtil que ses prédécesseurs. Trop verbeux, sonnant parfois faux et trop explicatifs (le passage avec le personnage de Michael Gambon en est l’exemple probant), le film aurait gagné à entretenir cette part de mystère et à laisser le spectateur construire sa propre réalité.
Un problème va également se poser dans une narration assez chaotique dans la première moitié du film, la faute à un traitement du scénario assez calamiteux de la part de Dolan, dépassé par son ampleur (de son propre aveu, il avait la matière filmique pour faire trois films, et la première version du montage durait quatre heures), et fatalement, le résultat s’en ressent dans le produit final, déséquilibré dans sa première partie, notamment dans les allers-retours qu’il fait entre le narrateur au présent et le récit qu’il en fait au passé, et se contentant souvent de rester très superficiel sur les émotions et relations des personnages. Bien heureusement, ce constat s’équilibre dans une deuxième partie qui tend à gagner en émotion, en limitant les retours au narrateur. Mais il est clair que le passage de Dolan sur le sol américain n’a point été une grande expérience et que, loin de permettre à ce réalisateur polymorphe de prendre du galon, cause en fait au film, de par la propension du cinéma américain à se laisser aller en verbiages pompeux et explicatifs, ses plus gros défauts.

Jessica Chastain (personnage coupé au montage)
© Shayne Laverdiere

Mais ne soyons point trop rancuniers, et ne boudons pas notre plaisir : pour tous les défauts inhérents à Ma vie avec John F. Donovan, on ne peut qu’être ébloui par la maestria d’un jeune réalisateur, un véritable auteur qui sait donner une beauté à ses images et diriger ses acteurs d’une main de maître. Que ce soit la scène de la boîte de nuit ou celle des retrouvailles mère-fils, le film possède en son sein de purs moments de grâce, des instants hors du temps, indicibles, que Xavier Dolan capte de la plus belle des manières.
Pour son prochain film, Matthias et Maxime, il semble retourner à ses premiers amours québécois et retrouver Anne Dorval. Et si le passage américain a pu être douloureux, et que ce dont il a accouché n’est peut-être pas ce dont il aurait pu rêver, pour toute la beauté incandescente du cinéma de Dolan, l’expérience vaut définitivement le coup d’être vécue.

Note

8/10

Empli de défauts inhérents à un passage outre-Atlantique à l’accouchement douloureux, Ma vie avec John F. Donovan, dans lequel Kit Harrington prouve son indéniable talent, ne manque cependant pas d’une émotion palpable et d’un travail visuel toujours aussi léché et maitrisé, et on pardonnera bien à vite à Xavier Dolan, devant la beauté pure de ce film, d’avoir pris de tels risques.

Bande-annonce :

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